dimanche 20 mars 2005

Accepter que les autres acceptent

On m'a demandé il y a peu si j'acceptais que les gens autour de moi acceptent la narcolepsie (voir message de Cchoux), et j'avoue que ça n'est pas une question simple à répondre.

Tout d'abord, il faut quand même dire qu'à l'évidence avant d'accepter que d'autres acceptent, il faut commencer par l'accepter soi-même. Prenons les choses dans l'ordre, si vous le voulez bien ! Donc, pour ce qui est de savoir si j'accepte ma chère et tendre Narcolepsie --on a développé une certaine relation d'intimité, elle et moi !--, une première attitude consiste à répondre un truc du genre :
"Evidement j'accepte, j'ai pas trop le choix ! Je suis bien obligé de faire avec !"

Oh, là ! Mal luné, le type ! Bon, on va dire que cette réponse là ne nous apporte pas grand chose, donc on passe très vite.

Un autre type de réponse pourrait être un truc comme :
"Bien sûr j'accepte. Mais c'est vrai que parfois il m'arrive de me mettre dans des colères noires intérieurement, ou plutôt contre ma compagne Narcolepsie, et pour des choses vraiment ridicules, comme le fait que ça fait la 25ème fois seulement aujourd'hui que je m'endors à mon bureau, assis face à mon écran d'ordinateur, à vainement essayer de trouver ce qui cloche dans ce foutu programme."

Ca, ça concerne le problème d'accepter cette foutue @#$%&* damnée narcolepsie au quotidien, et évidement ça n'est pas le plus simple. Se réveiller au milieu d'une conférence, ou d'une réunion avec les grands patrons et les clients, en se disant que non seulement on a raté les dernières 15 ou 20 mn de l'exposé et que ce qu'il se passe en ce moment n'a, du coup, plus aucun sens, avec en plus la particulièrement désagréable impression que 90 pour cent des gens présents dans la salle ont remarqué que vous piquiez du nez est non seulement frustrant, mais qui plus est tout spécialement embarrassant, voire humiliant. Donc déjà, là, on touche à un aspect bien plus délicat à accepter.

Maintenant, que ce passe-t-il avec les gens "qui savent" ? Pour ma part, je dirais que j'ai la chance d'avoir croisé très peu de gens qui ne comprenaient pas, ou à qui mes narcoses posaient un réel problème. Ou alors, si ça leur posait un problème ils l'ont gardé pour eux, auquel cas ça m'est un peu égal. Bref, parmi tous ces gens de mon entourage, il y a ceux que je vais appeler les "privés", et il y a les "publics". Les privés, ô surprise, sont ceux de l'entourage privé : famille, amis, amant(s). Les publics, évidement, sont les autres, genre collègues de bureau, collaborateurs, clients, etc.

Et la réponse à la question de savoir si j'accepte qu'ils acceptent n'est pas la même pour les publics et pour les privés !

En ce qui concerne les publics, non seulement j'accepte très bien qu'ils acceptent, mais je dirais même mieux que je n'accepte pas qu'ils n'acceptent pas :-) Enfin, pour ceux qui savent. Tant qu'ils ne savent pas, j'essaie du mieux que je peux d'ignorer leur réaction. Très vite, en fait, lorsque je suis amené à interagir avec quelqu'un, j'explique de quoi il retourne dès le premier accès de sommeil intempestif. Pas avec un long discours non, juste avec deux phrases pour dire que c'est comme ça, j'y peux rien et personne n'y peut rien non plus. Il est en fait relativement rare que les gens reviennent dessus. Une fois qu'ils savent, par contre, j'ai du mal à accepter qu'ils n'acceptent pas : c'est quand même pas pour eux que c'est le plus difficile, bon sang ! Si moi je peux faire avec, eux peuvent y arriver aussi. J'ai fini de me dire que je suis un boulet pour eux. J'ai eu ma période, certes, mais c'est terminé. Parce que dans l'histoire, j'étais le seul à me miner, alors que plus des trois quart des gens s'en foutent royalement.

Avec les privés, c'est différent. Ce qui est pareil --voire pire-- qu'avec les publics, c'est s'ils n'acceptent pas : là, pas de pitié. Je tire à vue --mesdames et messieurs les policiers, c'est seulement une façon de parler : en fait, je tire pas vraiment ! Mais alors, me direz-vous, pourquoi est-ce que ça pose un problème qu'ils acceptent ?! Vous avez raison, et voilà encore une fois la preuve par a+b que cette maladie est bien paradoxale... En fait, une fois que les proches acceptent, il faut qu'ils acceptent, mais discrètement. Compliqué, le gars ! Ce que je ressens à ce sujet est finalement assez difficile à exprimer ; disons qu'avec un truc comme la narcolepsie --je généralise un peu, mais j'imagine que c'est aussi le cas dans bien d'autres situations analogues-- on est convaincu que seul un autre narcoleptique peut vraiment comprendre ce qu'on vit, simplement parce qu'il y a des trucs dont on sais qu'un non-narcoleptique ne les expérimentera jamais. Le souvenir de ce que c'est que de ne pas être narcoleptique n'aide d'ailleurs pas à ce sujet --tiens, je me demande comment le vivent les gens atteints depuis un âge très jeune, et qui n'auraient pas vraiment de souvenirs "d'avant" ? Et dans les moments embarrassants dont je parlais plus haut, où s'endormir est particulièrement énervant en soi, je crois que je n'ai pas toujours envie de m'entendre dire "je comprend". Non ! Tu ne comprends pas ! Tu ne peux pas comprendre. Evidement, ils ne peuvent pas comprendre. Mais quelque part c'est injuste de le leur reprocher. Une autre fois, quelqu'un de très bien intentionné me dira gentiment, voyant que je commence à m'énerver tout seul après m'être endormi 4 ou 5 fois au cours du repas avec des amis, "ça sert à rien de t'énerver, c'est pas de ta faute". Qu'est-ce que vous voulez répondre à ça ? Que j'ai affaire à quelqu'un qui accepte plus que moi, voilà ce que je répond ! Et je dois dire qu'en soit c'est un peu agaçant ! Bien sûr, c'est extrêmement gentil, mais peut-être que seul un narcoleptique peut vraiment comprendre pourquoi j'étais en train de m'énerver tout seul...

Un autre aspect de la question dont il faut bien parler, c'est le côté intime. Intime au sens large, d'ailleurs. A commencer au lit : rien n'est plus énervant que d'avoir envie de dormir quand on n'en a justement pas envie... Mais alors, pas envie du tout ! Ca, vous pouvez pas imaginer à quel point ça m'énerve ! Non seulement par rapport à moi, mais aussi (et surtout ?) par rapport à ma partenaire. Et j'aurais beau me dire et me répéter que oui : elle sait, elle comprend, et en plus elle accepte, ça ne m'empêchera pas d'être embarrassé par rapport à elle. Et d'ailleurs, malgré tout ce qu'elle pourra en dire, si elle aussi avait envie d'un calin au moment où Général Morphée m'appelle au rapport d'urgence, elle doit quand même trouver ça un peu frustrant aussi ! Allez, allez, elle peut bien dire, je sais bien que tout ça c'est pour être gentille et pour me rassurer, va. Mais regardons les choses en face : est-ce que je préfererais vraiment qu'elle m'envoie ballader, qu'elle aussi s'énerve et me dise que j'aurais pû choisir un autre moment, ou un truc du genre ? J'en doute...

Et puis il y a le côté intime au quotidien. Mais là, je dois admettre que mon expérience est bien plus limitée, vue que jusque-là je n'ai jamais vraiment réussi à entretenir une relation soutenue sur le long terme --je veux dire sur le très long terme. Un signe ?

2 Commentaires:

Blogger grenadine a dit...

J'ai déjà donné mon point de vue sur la question, mais il me faut ajouter une dernière chose.
Témoigner ici à propos d'une narcolepsie que je ne vis pas m'a mise extrèmement mal à l'aise. Jean-Philippe a très bien exprimé cette impasse dans laquelle se trouve un ami de narcoleptique : on ne peut pas le comprendre, et si on cherche à le comprendre, on se plante.
Alors c'est bien d'inviter "les autres" à s'exprimer sur un tel blog, mais je le vois maintenant comme une sorte de piège.
Je ne suis pas si impliquée que ça, car je n'ai vu mon ami narcoleptique , hélas, que par épisodes très brefs ces dernières années. Je ne peux donc pas témoigner de ce que pourrait ressentir quelqu'un qui cotoierait la narcolepsie au jour le jour.
Mais je tente de le comprendre, je fais preuve de toute l'empathie dont je suis capable pour y arriver. Je ne sais pas si je fais bien, parce que cette mission impossible me rend un peu malheureuse, et je me demande dans quelle mesure mon ami ne prend pas ça pour de la prétention mal placée.
Et puis j'ai écrit sur ce blog, jusqu'à ce que je me rende compte de l'absurdité du procédé, venant de moi. D'abord, je ne veux pas me poser en "amie-de-narcoleptique". Ensuite c'était comme si soudain mon ami ne se réduisait plus qu'à cet aspect de lui.
Mais le plus "douloureux", ça a été une sorte de retour sur moi-même : qu'est-ce que j'aime en lui ? Quel rôle joue sa narcolepsie dans cette amitié ?
Jean-Philippe parle de cette sorte de tendresse qu'il a développée envers sa narcolepsie. Ca m'a frappée, parce qu'il me semble avoir développé la même chose, alors qu'en quelque sorte, ca devrait plutôt être une rivale (mais je répète que je ne le vis pas au quotidien, moi).
Ce qui m'effraie un peu, c'est que la narcolepsie prend une place croissante dans ma vie. Je m'informe de plus en plus, je recherche tout ce qui s'y rapporte, j'écris là-dessus... En quelque sorte, je peux dire que je suis fascinée. C'est assez déroutant.
Alors pour nous, "les autres", le même pas est à faire (dans une moindre mesure, bien sur - voyez comme j'ai pris l'habitude de parler avec des pincettes !-): accepter que, soi-même, on accepte. Cornélien, isn't it ?

21 mars, 2005 16:50  
Blogger grenadine a dit...

Poème 3 (Pourquoi le troisième ? Désolée, c'est un private joke !)


Il n’y a qu’une seule maladie
Qui ne dérange que les autres,
Je dirais que c’est la connerie.
Narcoleptiquement vôtre,
Je ne peux parler pour mon ami
Mais de lui je suis l’apôtre
Lorsque je crois et je dis,
- Là, dans le doute je me vautre -
Que si à payer il y a un prix
C’est celui de l’amour-propre.
Mais croyez bien que vos amis,
Parents, amants et autres,
S’ils vous aiment comme on le dit,
Ne sont pas prêts à prendre la porte
Devant ces problèmes grands ou petits !

24 mars, 2005 00:58  

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