Accepter que les autres acceptent
Tout d'abord, il faut quand même dire qu'à l'évidence avant d'accepter que d'autres acceptent, il faut commencer par l'accepter soi-même. Prenons les choses dans l'ordre, si vous le voulez bien ! Donc, pour ce qui est de savoir si j'accepte ma chère et tendre Narcolepsie --on a développé une certaine relation d'intimité, elle et moi !--, une première attitude consiste à répondre un truc du genre :
"Evidement j'accepte, j'ai pas trop le choix ! Je suis bien obligé de faire avec !"
Oh, là ! Mal luné, le type ! Bon, on va dire que cette réponse là ne nous apporte pas grand chose, donc on passe très vite.
Un autre type de réponse pourrait être un truc comme :
"Bien sûr j'accepte. Mais c'est vrai que parfois il m'arrive de me mettre dans des colères noires intérieurement, ou plutôt contre ma compagne Narcolepsie, et pour des choses vraiment ridicules, comme le fait que ça fait la 25ème fois seulement aujourd'hui que je m'endors à mon bureau, assis face à mon écran d'ordinateur, à vainement essayer de trouver ce qui cloche dans ce foutu programme."
Ca, ça concerne le problème d'accepter cette foutue @#$%&* damnée narcolepsie au quotidien, et évidement ça n'est pas le plus simple. Se réveiller au milieu d'une conférence, ou d'une réunion avec les grands patrons et les clients, en se disant que non seulement on a raté les dernières 15 ou 20 mn de l'exposé et que ce qu'il se passe en ce moment n'a, du coup, plus aucun sens, avec en plus la particulièrement désagréable impression que 90 pour cent des gens présents dans la salle ont remarqué que vous piquiez du nez est non seulement frustrant, mais qui plus est tout spécialement embarrassant, voire humiliant. Donc déjà, là, on touche à un aspect bien plus délicat à accepter.
Maintenant, que ce passe-t-il avec les gens "qui savent" ? Pour ma part, je dirais que j'ai la chance d'avoir croisé très peu de gens qui ne comprenaient pas, ou à qui mes narcoses posaient un réel problème. Ou alors, si ça leur posait un problème ils l'ont gardé pour eux, auquel cas ça m'est un peu égal. Bref, parmi tous ces gens de mon entourage, il y a ceux que je vais appeler les "privés", et il y a les "publics". Les privés, ô surprise, sont ceux de l'entourage privé : famille, amis, amant(s). Les publics, évidement, sont les autres, genre collègues de bureau, collaborateurs, clients, etc.
Et la réponse à la question de savoir si j'accepte qu'ils acceptent n'est pas la même pour les publics et pour les privés !
En ce qui concerne les publics, non seulement j'accepte très bien qu'ils acceptent, mais je dirais même mieux que je n'accepte pas qu'ils n'acceptent pas :-) Enfin, pour ceux qui savent. Tant qu'ils ne savent pas, j'essaie du mieux que je peux d'ignorer leur réaction. Très vite, en fait, lorsque je suis amené à interagir avec quelqu'un, j'explique de quoi il retourne dès le premier accès de sommeil intempestif. Pas avec un long discours non, juste avec deux phrases pour dire que c'est comme ça, j'y peux rien et personne n'y peut rien non plus. Il est en fait relativement rare que les gens reviennent dessus. Une fois qu'ils savent, par contre, j'ai du mal à accepter qu'ils n'acceptent pas : c'est quand même pas pour eux que c'est le plus difficile, bon sang ! Si moi je peux faire avec, eux peuvent y arriver aussi. J'ai fini de me dire que je suis un boulet pour eux. J'ai eu ma période, certes, mais c'est terminé. Parce que dans l'histoire, j'étais le seul à me miner, alors que plus des trois quart des gens s'en foutent royalement.
Avec les privés, c'est différent. Ce qui est pareil --voire pire-- qu'avec les publics, c'est s'ils n'acceptent pas : là, pas de pitié. Je tire à vue --mesdames et messieurs les policiers, c'est seulement une façon de parler : en fait, je tire pas vraiment ! Mais alors, me direz-vous, pourquoi est-ce que ça pose un problème qu'ils acceptent ?! Vous avez raison, et voilà encore une fois la preuve par a+b que cette maladie est bien paradoxale... En fait, une fois que les proches acceptent, il faut qu'ils acceptent, mais discrètement. Compliqué, le gars ! Ce que je ressens à ce sujet est finalement assez difficile à exprimer ; disons qu'avec un truc comme la narcolepsie --je généralise un peu, mais j'imagine que c'est aussi le cas dans bien d'autres situations analogues-- on est convaincu que seul un autre narcoleptique peut vraiment comprendre ce qu'on vit, simplement parce qu'il y a des trucs dont on sais qu'un non-narcoleptique ne les expérimentera jamais. Le souvenir de ce que c'est que de ne pas être narcoleptique n'aide d'ailleurs pas à ce sujet --tiens, je me demande comment le vivent les gens atteints depuis un âge très jeune, et qui n'auraient pas vraiment de souvenirs "d'avant" ? Et dans les moments embarrassants dont je parlais plus haut, où s'endormir est particulièrement énervant en soi, je crois que je n'ai pas toujours envie de m'entendre dire "je comprend". Non ! Tu ne comprends pas ! Tu ne peux pas comprendre. Evidement, ils ne peuvent pas comprendre. Mais quelque part c'est injuste de le leur reprocher. Une autre fois, quelqu'un de très bien intentionné me dira gentiment, voyant que je commence à m'énerver tout seul après m'être endormi 4 ou 5 fois au cours du repas avec des amis, "ça sert à rien de t'énerver, c'est pas de ta faute". Qu'est-ce que vous voulez répondre à ça ? Que j'ai affaire à quelqu'un qui accepte plus que moi, voilà ce que je répond ! Et je dois dire qu'en soit c'est un peu agaçant ! Bien sûr, c'est extrêmement gentil, mais peut-être que seul un narcoleptique peut vraiment comprendre pourquoi j'étais en train de m'énerver tout seul...
Un autre aspect de la question dont il faut bien parler, c'est le côté intime. Intime au sens large, d'ailleurs. A commencer au lit : rien n'est plus énervant que d'avoir envie de dormir quand on n'en a justement pas envie... Mais alors, pas envie du tout ! Ca, vous pouvez pas imaginer à quel point ça m'énerve ! Non seulement par rapport à moi, mais aussi (et surtout ?) par rapport à ma partenaire. Et j'aurais beau me dire et me répéter que oui : elle sait, elle comprend, et en plus elle accepte, ça ne m'empêchera pas d'être embarrassé par rapport à elle. Et d'ailleurs, malgré tout ce qu'elle pourra en dire, si elle aussi avait envie d'un calin au moment où Général Morphée m'appelle au rapport d'urgence, elle doit quand même trouver ça un peu frustrant aussi ! Allez, allez, elle peut bien dire, je sais bien que tout ça c'est pour être gentille et pour me rassurer, va. Mais regardons les choses en face : est-ce que je préfererais vraiment qu'elle m'envoie ballader, qu'elle aussi s'énerve et me dise que j'aurais pû choisir un autre moment, ou un truc du genre ? J'en doute...
Et puis il y a le côté intime au quotidien. Mais là, je dois admettre que mon expérience est bien plus limitée, vue que jusque-là je n'ai jamais vraiment réussi à entretenir une relation soutenue sur le long terme --je veux dire sur le très long terme. Un signe ?